Mauricio Alvarez – Photographe – Novembre 2015

C’est dans une petite brasserie située place de la Nation, que Mauricio Alvarez a accepté de répondre à mes questions. Cet amoureux de la vie et de l’être humain m’a expliqué, avec humour et tendresse, sa passion pour la photo. Il est en fait depuis tout petit, mais professionnellement cela ne fait que 15 ans. 15 ans à parcourir le monde, à chercher un sujet qui le fera vibrer et lui donnera envie de l’immortaliser.

Ce natif de Colombie est venu vivre à Paris, il y a 16 ans, pour respecter une promesse qu’il avait fait à sa sœur :    « Mes parents ont divorcé quand j’avais un an et mon père est venu vivre en France. Il a eu ma sœur. A la fin de mes études en Colombie, je lui ai promis que je viendrais vivre ici 6 mois. Dans mon pays d’origine, je travaillais pour une filiale de Danone, et 6 mois après mon arrivée à Paris, on m’y a proposé un poste. J’ai donc travaillé 4 ans pour ce groupe français et après je suis resté ici. »

Et c’est dans la capitale française qu’il décida de faire de la photo, tout en ayant un autre métier à côté : « La photographie documentaire et sociale n’est plus très bien rémunérée, et faire des missions purement commerciales ne m’intéresse pas. Je préfère choisir des sujets qui me tiennent à cœur. Je continue donc à travailler de façon indépendante, en proposant des services de conseil en innovation. Ceci me donne une liberté énorme pour faire ce que j’aime. ».

Mauricio fait de la photo de manière assez intellectuelle, en s’approchant au plus près des êtres humains. Pour lui, chaque photo est une rencontre, un instant partagé et non volé. « Le plus intéressant c’est d’aller à la rencontre des gens, d’établir un vrai contact, de comprendre leur situation. La photographie vient après. Ce que j’aime c’est quand il y a une acceptation de l’appareil photo, car le travail n’est pas le même. Il est plus respectueux. J’assume le risque de perdre un peu de naturalité. ».

C’est d’ailleurs sûrement parce qu’il est lui-même migrant, qu’il a réalisé récemment le projet Room 401. Une série de photographies qui représente des migrants habitant dans un lycée désaffecté, dans le nord de Paris. « Un jour, je suis monté au 4ème étage de ce bâtiment, et je me suis retrouvé dans une chambre avec une vingtaine de personnes d’origine afghane. Notre discussion commençait à peine, qu’ils me proposaient du thé et des biscuits, alors qu’ils n’ont rien. Les semaines suivantes, je suis revenu régulièrement sur place et le projet s’est fait comme ça, au fil de de l’eau. » Pour lui, la photo est une question de confiance entre deux parties, ainsi pour mieux les comprendre, mieux les représenter, il travaille souvent en immersion. « Dans le cadre de mes projets, je tente systématiquement de vivre la vie des gens, d’établir un contact plus long pour mieux les comprendre. C’est en quelque sorte une approche ethnologique. Au début, je viens même sans mon appareil photo et petit à petit, quand la confiance s’établit, je leur parle des photos, et s’ils sont d’accord, je démarre le projet. »

Mauricio est un homme de cœur, qui ne photographie que ce qu’il aime, et qui respecte ses promesses. C’est en 2012, à Pondichéry, en Inde, que voit le jour un de ses projets les plus importants, Onefaceaday. Chaque jour pendant un an, il photographie des inconnus dans la rue pour valoriser et partager la beauté de la diversité dans le monde. Tout commence dans un quartier de pécheurs situé au nord de Pondichéry. Un matin, Mauricio sort au balcon de son hôtel et des enfants lui font signe de descendre dans la rue. Il décide de les rejoindre avec deux appareils photos dans les bras. Un pour lui, un pour eux. Il les invite à se faire des portraits mutuellement. Le lendemain, il va dans un labo photo du centre ville, fait un tirage des photos et les expose dans un mur du quartier. « Cette initiative a créé une mobilisation inattendue. Tous les enfants, ainsi que leurs parents, méfiants au départ, sont sont déplacés pour voir les portraits. Ils sont même partis avec. J’ai été assez surpris de l’accueil qu’ils ont réservé à ces photos. Je leur ai promis que j’allais commencer à partir de ce jour, un projet d’un an, à faire tous les jours un portrait de quelqu’un dans la rue. ». C’est donc ainsi que,  dans une quinzaine de pays différents, Mauricio descendit dans les rues et quand son regard croisait une personne qui lui donnait envie de faire une photo, il lui en demandait une. « En tout, j’ai fait autour de 800 photos, mais je  n’en ai publié que 365. Une par jour. Certains ne voulaient pas être publiés, mais je tenais tout de même à leur envoyer leur portrait. ». dit-il en m’expliquant que pour ce projet il voulait obtenir le maximum de diversité. Il y aura eu plus de 90 nationalités représentées au total, avec une parité homme-femme qui lui semblait important à respecter. Le projet s’est achevé en 2014 et sans vraiment le vouloir, il s’est vu proposer des expositions de ce projet, dont deux en Russie et deux à Paris : « Je ne pensais pas que c’était un projet qu’on pouvait exposer. C’est plus un projet humain, mais j’ai reçu des appels, ça s’est développé assez naturellement en fait. » Parce que pour lui la finalité dans ce projet, comme dans tous les autres, ce n’est pas d’être exposé, même s’il avoue être surpris de voir que son site internet a été vu par des personnes dans plus de 140 pays, pour lui faire de la photographie c’est rencontrer l’humain. Et avec Onefaceaday, il y avait au moins une rencontre par jour avec un ou une inconnu(e): « C’est très enrichissant. J’ai rencontré énormément de gens dans le cadre de ce projet, je suis toujours en contact avec certaines personnes. Je trouve que cela a fait toute la différence. Cela a permis aussi aux autres d’avoir une approche différente de la diversité. »

Durant l’interview, je lui ai demandé son intérêt pour la Fashion Week, car c’est dans ce cadre là que nous nous sommes rencontrés en octobre dernier. « Dans la mode, il y a une convergence de personnes de différents niveaux socio-culturels avec des intérêts parfois très différents. Des créateurs, des éditeurs, des vendeurs, des gens du show-biz, des sportifs et des groupies. Il y a des gens qui viennent pour travailler, d’autres pour regarder et d’autres pour être vus. Tout le monde veut participer à la « fête » et ça me plait beaucoup. ». Cela fait 6 ans qu’il fait la fashion week, en « street » comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire à l’extérieur, avant et après le défilé, mais cette année il a décidé d’arrêter. « Avec le développement du numérique, et la banalisation des appareils photos, une masse de nouveaux photographes et de blogueurs est apparue. Les conditions de travail sont donc devenues moins intéressantes. L’approche est plus violente. Le contact humain simple et respectueux est en passe de disparaître. ».

A la fin de l’interview, l’actualité de ces dernières semaines m’oblige à lui demander comment, en tant que photographe, il a réagi aux attentats perpétrés à Paris. Et, ce n’est pas seulement parce qu’il ne se revendique pas comme un photographe d’actualité, qu’il n’est pas allé sur « les lieux du crime » comme il dit juste après, mais plutôt parce que « C’était pour faire mon propre travail de deuil que j’y suis allé, et ce n’est pas sans difficulté que j’ai réussi à sortir mon appareil photo. La force, je l’ai trouvé en voyant les réactions de courage des parisiens face à la barbarie qu’ils venaient de vivre. Voir des vitres trouées, des gens assassinés dans les rues de Paris, c’était quelque chose d’inédit. Paris est une ville qui, pour moi en tout cas, représente la tolérance, la solidarité, des vraies valeurs. Je ne pensais jamais qu’un jour je verrai ça ici. C’était en fait plus un besoin intérieur d’aller faire des photos qu’une nécessité de couvrir l’actualité. J’avoue avoir eu du mal à cliquer sur mon appareil photo. J’ai été très touché, c’était très dur. ».

On l’aura donc compris, Mauricio veut capter avec son appareil l’humanité et l’être humain et non les choses superficielles de la vie. La photographie, ce n’est pas juste sortir un appareil et cliquer sur tout ce qu’on voit. C’est un échange, une passion, une réalité. C’est mettre à la lumière du jour des gens ordinaires, qui ont une force de vie incroyable, c’est offrir un regard tendre et sincère sur l’humain.

Gageons que pour le nouveau projet sur lequel il travaille actuellement, Generation Z , sur les personnes nées après 1995, il saura encore nous émouvoir et nous rendre compte au plus près de l’humain, au plus près de la vérité. Rien qu’à l’entendre en parler, on sait déjà que le pari est réussi : « Il y a beaucoup de caractéristiques qui font que cette génération est une génération intéressante. Je pense que ça va être une génération de rupture en quelque sorte. Je le vois déjà dans le comportement des premiers adolescents rencontrés. ».

Vous pouvez retrouver Room 401, Onefaceaday, Paris mon amour, sur son site officiel : http://www.mauricio-alvarez.net