C’est par un bel après-midi de septembre, à quelques pas de son appartement et de son studio d’enregistrement, derrière le Sacré Cœur, que Rick Allison me donne rendez-vous pour une interview d’une heure, acceptée quelques semaines auparavant via Facebook.
Curieux de nature et parce qu’il « aime savoir à qui il a affaire », c’est lui qui commence à poser des questions. Une fois nos boissons arrivées et mon tour venu, la première question concerne son premier texte, savoir s’il s’en souvenait. « C’était il y a très longtemps et en anglais » car même si, jeune, Rick a toujours écouté « énormément de chanson française », il écrivait d’abord en anglais, c’était sûrement dû à ses origines irlandaises par sa mère « perdu très tôt, à l’âge de 8 ans ». C’est d’ailleurs avec beaucoup de tendresse qu’il parle de « ses origines pas suffisamment connues et qui lui manquaient beaucoup ». Puis, à l’adolescence, très attiré par la musique anglo-saxonne et fan de Queen, il assistait à « beaucoup de festivals de groupes américains notamment en Allemagne », mais son cœur « était par contre dans Brel, Berger, Lama, dans la chanson française pure et dure des années 70. Sa première chanson s’appelait Lonely dancer, c’était l’histoire d’un voyageur dans le temps. J’ai toujours été fasciné par le temps et le voyage. »
Artiste né, pour Rick Allison, tout est venu vite et en même temps. A 17 ans, il a déjà un studio d’enregistrement. A 19 ans, ses petits boulots lui permettent d’avoir des boites à rythmes, des synthés puisque « c’était essentiel d’avoir ce qu’il fallait dans les années 80 ». Cette passion pour les studios d’enregistrements se poursuit dans le temps. Il en a même une douzaine maintenant et c’est avec malice qu’il raconte que « c’est quasiment devenu une blague avec » ses amis ou sa famille. « Quand on va quelque part, ils me demandent toujours où je vais mettre le studio d’enregistrement, parce que partout où je vais, je prends un clavier, un ordinateur, au cas où. » D’ailleurs, pour lui, « l’arrangement et l’écriture, ça va de pair ». C’est donc logiquement que toutes les maquettes qu’il présente sont arrangées et abouties. Le choix de Rick Allison de faire rarement un piano-voix s’explique par le fait qu’il a « une conception de la musique qui est très large » et que pour lui, « ce qu’il y a entre les notes de la mélodie, ce qu’il y a dans le rythme, dans les couleurs des accords, ça fait partie de la composition. »
Si pour Rick Allison, « il n’y a pas de règle » dans l’écriture d’une chanson, il reconnait aussi « ne pas être un auteur né » et aime travailler avec différents auteurs. Quand il écrit lui-même un texte, c’est parce qu’il « estime être la bonne personne pour écrire sur un thème, un peu plus difficile, plus délicat, plus intime et parce que ça serait faux de le faire écrire par quelqu’un d’autre. » Il compare notamment l’écriture d’une chanson à une pièce de théâtre : « Quand on écrit une chanson, tout ce qu’on met est important, c’est comme dans une pièce de théâtre, si un personnage ou un objet est mis à un certain endroit, c’est qu’il aura une importance à un moment donné. » Dans aucune de ses collaborations, il ne s’est « disputé avec un auteur » parce qu’il entretient une relation de confiance sans pour autant que cela n’empêche pas « d’enlever des choses, de faire des essais et en écoutant se dire, ça peut le faire. Cette idée de malaxer, de retourner l’histoire, de la présenter différemment. » Pour lui, « tout est permis dans une chanson, d’ailleurs « il y’a des chansons où le titre n’apparait même pas dans le texte ». Amusé, il rappelle que Jacques Brel a écrit Le port d’Amsterdam, alors qu’il n’y a pas de port à Amsterdam et pourtant, jamais personne ne lui a fait la réflexion.
Il parle aussi de ses auteurs, avec qui, il prend plaisir à travailler régulièrement. « Quand les auteurs sont très bons et écrivent des choses très puissantes, le texte m’inspire la musique. Je vois la musique s’écrire pendant que je lis le texte. Je visualise au fur et à mesure les parties de piano, les parties de cordes et les parties rythmiques. Je vois la chanson sur scène. Je n’ai rien joué encore mais je lis le texte et là je vois un(e) interprète fictif(ve) en train d’interpréter la chanson et après je me mets au clavier et je transcris ce que j’ai imaginé/vu. » Il cite évidemment « son mentor dans l’écriture » Eddy Marnay qui a écrit des « des grandes chansons pour beaucoup de monde » comme Belinda ou encore Le mal-aimé pour Claude François, pour des chanteuses très populaires des années 60 et 70 comme Mireille Mathieu, Juliette Gréco, Frida Boccara et le premier succès de Céline Dion, D’amour ou d’amitié. Pour Rick, Les moulins de mon cœur « a une symbiose magnifique ». Les auteurs qui l’inspirent le plus sont Didier Golemanas, avec qui il a écrit notamment Pense à moi pour Johnny Hallyday, Thierry Sforza ou bien encore Sandrine Roy, une amie. « Ces auteurs sont très puissants en termes d’images, ils sont très forts. » Il explique aussi qu’il y a « des auteurs qui sont plus au service des compositeurs, ils ont besoin de la musique pour écrire. » Alors, il leur envoie des musiques et « certains ont écrits de grandes chansons de cette manière ». Il avoue aussi que « tout le monde ne sait pas le faire ». « Il y a des méthodes pour écrire sur une musique, il y a des auteurs qui l’ont naturellement et d’autres qui l’apprennent. »
En plus d’être exalté par ses auteurs, Rick Allison pioche des idées de chanson dans les différentes choses de la vie et le temps est l’une des choses qui l’inspire le plus et il aime jouer avec lui. Il a « besoin de ça, de prendre le temps de faire les choses ». Pour lui, « il y a trop de gens pressés, faute à une société dans laquelle on ne comprend pas bien la notion de temps, de création et de talent ». Il mesure la chance qu’il a d’avoir un métier dans lequel « le temps n’a pas beaucoup d’importance » alors il s’en sert : « Même les gens avec lesquels je travaille, je leur dis qu’il faut prendre le temps de faire les choses. Autant je peux écrire très vite, autant ça peut me prendre très longtemps à y penser. Le temps est essentiel mais le plus important est de s’en servir correctement. Quand je travaille avec des artistes, je leur dis deux choses : de prendre le temps et de pas avoir de peur de prendre son temps, de faire les choses vraiment bien, pas à moitié pour impressionner les autres car s’imposer des choses qui ne sont pas à notre avantage, ça finit par révéler une limite dans le regard du public. »
En me retraçant son parcours, Rick Allison me parle de sa collaboration avec Chimène Badi pour qui il a écrit, entre autres, l’album Entre nous dont la chanson éponyme « est réellement le premier texte écrit. Cette chanson était à la base pour Cindy Daniel, une chanteuse canadienne, mais quand le patron du label Valéry Zeitoun l’a entendue, il l’a voulue pour Chimène qui était à ce moment-là dans PopStars. Valéry m’a contacté et convaincu de travailler avec elle. « J’étais chez moi, à Montréal, quand je reçus une cassette VHS de sa part et un message me disant qu’après avoir regardée cette cassette, je voudrais travailler avec Chimène ». Valéry Zeitoun ne s’était pas trompé. Impressionné par la façon dont elle a chanté, Rick prend l’avion le soir même pour Paris. Le lendemain, ils se rencontrent et le surlendemain, ils partent à Montréal pour enregistrer chez lui. La semaine d’après, la chanson sort.
Si Rick Allison aime prendre le plus souvent son temps donc, il avoue donc qu’une carrière et notamment la sienne est faite de challenge et qu’il faut savoir écouter son instinct car il savait que c’était sa « route de travailler avec Chimène ». Il faut pour autant « bien comprendre le challenge » puisque si Entre nous n’avait pas été un succès, on aurait dit qu’il ne « sait faire que du Lara ». Il a vécu aussi ce challenge lors de sa collaboration avec Johnny Hallyday avec qui il a « adoré travailler ». Au moment où il travaille avec lui, il a « déjà une belle carrière avec Lara », mais il n’a jamais écrit pour Johnny, il est le « nouveau » de l’association. Il reconnait que le facteur chance joue aussi : « Johnny a aimé ce que je lui ai proposé mais ça aurait pu ne pas lui plaire et après, je serais rentré chez moi en me disant « Johnny n’a pas aimé ce que j’ai écrit pour lui », alors que d’un autre côté, je regarde les charts et je viens de dépasser les 2 millions d’albums vendus avec Lara. » Contrairement à ce qu’on pourrait penser, se faire « jeter des chansons » est quelque chose qu’il a vécu malgré son succès avec d’autres. Il avoue d’ailleurs que parmi ces interprètes avec qui « ça ne s’est pas fait », son « grand regret et elle le sait, c’est Patricia Kaas. J’aurais tellement aimé. On s’est vu, on a même diné ensemble. Le label m’a confirmé deux fois de suite son album et à chaque fois ça ne s’est pas fait. Pourtant, j’ai travaillé, j’ai vraiment travaillé. Ça ne sait pas fait, ça ne se fera pas. C’est dommage, c’est vraiment un de mes grands regrets. » Il cite aussi Céline Dion, avec tendresse et une petite lueur d’espoir dans les yeux car on l’a « récemment contacté pour son prochain album ». Il raconte l’une de ses discussions avec René Angélil, manager et époux de Dion, qu’il avait souvent rencontré : « Il me disait avoir un grand respect pour moi et mon écriture que c’était super sauf que ce que je faisais, je le faisais contre Céline. » Fan de sport, Angélil comparait cela à être dans l’équipe adverse et lui avait dit : « Je respecte l’adversaire mais je ne le fais pas rentrer dans l’équipe. »
Parmi les grandes voix avec qui Rick peut se vanter d’avoir travaillé, il y a l’inoubliable Maurane avec qui il a d’innombrables souvenirs. C’est donc avec beaucoup de tendresse qu’il parle d’elle : « Je l’appréciais énormément, c’était devenue une amie. On a passé des Noëls, des nouvels ans, des anniversaires. Ce qui m’a le plus touché, c’est son affection pour ma fille. ». Rick est né comme Maurane dans le plat pays et quand il était jeune, « être musicien de Maurane était une consécration. En Belgique, Maurane, c’était la référence. » Dans ces souvenirs professionnels avec elle, il affectionne particulièrement ceux avec la chanson « Tu es mon autre ». « On l’a écrite pour Maurane et, pour que Maurane la chante, on a fait l’enregistrement tous ensemble à Montréal, chez moi. Il n’y a eu qu’un seul enregistrement avec un seul micro pour l’équilibre des voix. Par contre, elle refusait catégoriquement que la chanson sorte en single. Elle voyait ça comme un cadeau pour Lara, mais ne voulait pas que cela aille plus loin. » Une fois l’album sorti et le succès des deux premiers singles, Rick voulait sortir le duo en troisième single. Et c’est dans un TGV Bruxelles-Paris, où le hasard le place pas loin de Maurane, que fort de persuasion, il réussit à ce que Maurane accepte finalement que la chanson sorte en single. « Elle a été très heureuse de ce succès et très heureuse de mettre la chanson dans son Best Of. »
« Tu es mon autre » fait partie de ces chansons que le Top 50 a connu un grand moment dans son top 10, et si Rick Allison est d’accord sur le fait qu’un tube n’est pas forcément une grande chanson et de même qu’une grande chanson n’est pas forcément un tube, il reconnait qu’au final ce n’est pas bien important qu’une chanson pas trop bonne soit au Top 50. La seule chose qui compte, au final, « c’est que ça plaise au public et qu’il y aura toujours des chansons dans un Top 50 qui seront moins bonnes que d’autres et ce n’est pas grave, il y a de la place pour tout. » Quand on écrit, qu’on compose, ce qui compte c’est de faire ce qui nous plait et de le faire avec des gens qu’on aime et qu’on connait. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il travaille souvent avec les mêmes : « Avec mes auteurs, je les connais, je les vois, j’ai des relations avec eux. C’est pareil pour les interprètes. J’ai besoin de connaître les gens pour vivre des choses avec eux. ». Pour autant, il n’hésite pas à travailler avec des jeunes artistes quand leur univers musical lui correspond. Et s’ils trouvent ça « impressionnant de travailler avec moi, j’essaye de mettre tout le monde à l’aise, de la même façon que Johnny ou Ginette Reno m’ont mis à l’aise. Ce sont des gens très simples, très abordables qui sont là juste pour faire des bonnes chansons. Pour Ginette Reno, au début c’était très impressionnant, car peu importe comment j’avais envisagé dans mon esprit la manière dont elle chanterait, quand elle chante, tout se transforme et à chaque fois c’est une claque. » Ginette Reno fait d’ailleurs partie de son actualité puisque le dernier album de Ginette Reno sort bientôt et pour « avoir de la couleur, de la diversité dans le répertoire », il a travaillé avec la plupart de ses auteurs, chacun pour une chanson.
Il travaille aussi, actuellement, sur une comédie musicale avec Thierry Sforza dont le thème est Léonard De Vinci. Ils ont commencé l’an dernier, Thierry était chez lui en Normandie Rick coincé en Russie à cause de la pandémie pendant 6 mois. Une vingtaine de chansons sur les 26 que compte la comédie musicale ont été créés durant cette période. Les enregistrements de la préproduction sont terminés depuis cet été et maintenant, il y a des échanges avec différentes maisons de productions pour vendre la comédie musicale, qui devrait avoir lieu en 2023 voire même 2024. « Là encore on n’est pas dans une question de temps, le principal c’est que ça se fasse. »
Il a également collaboré avec Clément Verzi (finaliste de Zazie en 2016 dans l’émission The Voice) pour son premier album Le sourire, sorti il y a quelques semaines : « Je l’ai contacté car je voulais absolument bosser avec lui. Le covid a un peu stoppé le projet, C’est un mélange de pop et d’urbain et quelques titres qui font vraiment variété. On a un peu ramé niveau maison de disques, mais on a réussi. Clément l’a mal vécu mais pourtant ce n’est pas grave. Ce qui est intéressant dans tout ça c’est avec qui cela se fait car oui on l’a fait. Il fallait juste rencontrer les bonnes personnes pour le faire. Si quelqu’un dit non, c’est que c’est par pour lui. Ce n’est pas grave si on dit non, on trouve quelqu’un d’autre à qui cela correspond. »
En plus d’être un auteur-compositeur-arrangeur et producteur de talent, Rick Allison est surtout et avant un être humain à l’écoute des autres et qui offre son temps aux autres. C’est pour cette raison que pendant la pandémie, « pour garder un lien avec les autres artistes », il « débute une activité de conseils pour aider essentiellement ceux qui commencent dans le milieu. » Depuis peu, il a rejoint la SACEM et a également composé le chanson France pour le défilé du 14 juillet dernier. C’est la première année qu’une demande de création est faite par le gouverneur militaire de Paris responsable des festivités de l’événement. La chanson a été écrite avec son complice Thierry Sforza et a été interprété par Candice Parise, une ancienne candidate de The Voice également. Grâce à cette chanson, Rick a été approché pour composer les ouvertures de différents évènements sportif dont la coupe du monde de Rubgy en France en 2023 et les J.O. à Paris en 2024.
Rick Allison aime tellement prendre son temps que l’interview dépasse bientôt les 3h et se termine sur quelques mots pour celle avec qui tout a commencé, Lara Fabian pour qui il a composé et produit ses 4 premiers albums français. D’abord connue que du côté du Canada, c’est avec Tout en 1996, que la carrière de Lara Fabian explose en France et continue de faire des étincelles avec d’ailleurs une tournée des 50 ans qui a parcouru la France. Dans une carrière pour lui, il faut être « capable de prendre des risques, de mettre son futur en jeu » et c’est ce qu’il a fait avec Lara. « J’ai pris beaucoup de risques avec Lara mais en même temps si je n’avais rien fait, je ne serai sûrement pas là. Là aussi, c’était ma route ». La tendresse dans sa voix est revenue quand il rappelle qu’il a rencontré Lara quand il avait 26 ans et qu’il a « fait un super chemin avec elle. » S’il est fidèle dans ses relations et dans les gens avec qui il travaille, c’est qu’il part du principe que les gens doivent se connaitre pour bien travailler. « On fait des meilleurs choses si on se connait vraiment. Le temps qu’on y consacre et l’envie qu’on y met font qu’on fait de belles choses. Si on a vraiment envie de faire quelque chose, il faut prendre le temps de le faire et de le faire bien. La création est une grande liberté, il ne faut pas l’oublier. » Avec Lara, « on se connait depuis longtemps et ces derniers temps, il y a des conversations qui vont dans le sens où peut-être que nous pourrions retrouver le chemin du studio ensemble. On en discute, on pense que ça serait bien, je compose, elle écoute, avec un nouvel label, des gens qui en ont envie, ça pourrait peut-être se faire. »
L’interview est terminée et pour reprendre celle avec qui une nouvelle collaboration serait un régal pour les fans, il existe des moments d’étoiles dans une vie, celui-ci en était forcément un pour moi. Et si Rick Allison a eu les yeux remplis de tendresse et de malice durant cette interview, il est sûr que de mon côté, j’en repars avec des étoiles plein les yeux.
Crédits Photos : Rick Allison