C’est au lendemain d’un atelier d’écriture personnalisé que m’avait réservé Sandrine Roy qu’elle a accepté de répondre à quelques questions. Sandrine aime les gens et les rencontres et elle le prouve d’ailleurs par son accueil charmant dans son joli « Studio du garage » qu’elle loue aux visiteurs et voyageurs de Chaumont ou à ces quelques personnes, comme moi, qui viennent apprendre avec elle et son talent.
Son talent d’écriture, elle l’exerce depuis bien longtemps. Déjà en cours de math, en sixième, comme elle s’y ennuyait, elle remplaçait les chiffres par les lettres et c’est ainsi qu’elle commence ses premières rimes, ses premiers poèmes. Et puis cet amour des mots, que son grand-père lui a transmis en lui faisant découvrir « Victor Hugo entre autres », ne la quitte pas et elle continue à écrire des poèmes puis des chansons. Et en 2003, cette amoureuse des émotions et : « de la magie qu’une chanson offre en rassemblant autant d’individus pourtant totalement différents », a enfin un de ces textes, On a tous un voyage,dans un l’album Jo prend la mer de Jo Lemaire, une chanteuse belge. C’est cette même année qu’elle signe un contrat d’exclusivité, pour 10 ans, avec un éditeur canadien. Pour des raisons familiales et d’attachement à la France, vivre au Canada n’est pas une option pour elle, mais comme le talent n’a pas de frontière, c’est dans ce pays de l’autre côté de l’atlantique qui est « devenu comme une seconde famille », que la plupart de ses collaborations se sont faites, comme avec Garou en 2006 avec la chanson Que le temps.
Pour elle, il n’y a pas de secret, il faut travailler et travailler encore et encore, lire et lire des poèmes, des chansons d’aujourd’hui, d’avant et d’autrefois, et écrire toujours. Il ne faut aussi, et surtout, pas penser vivre de ça. L’écriture doit rester une passion, un besoin. L’argent gagné est un plus dans une passion, mais peu d’auteurs de nos jours peuvent en vivre, qu’ils soient auteurs de chansons ou de romans. La réalité de la difficulté de son métier ne doit pas, pour elle, atténuer la passion de l’écriture. C’est ce qu’elle dit à ces jeunes qu’elle a, souvent l’été, lors de ses ateliers d’écriture où elle leur fait découvrir, avec joie et émotions, ses grands auteurs qu’elle aime tant, que ses parents lui ont fait aimer, comme Aznavour, Brel, Brassens. Si elle n’est pas d’accord pour dire que la chanson française a perdu en quelques années ses lettres de noblesse, elle reconnait clairement qu’un tri est fait avec un nivellement par le bas dans la qualité des textes, que « les quelques radios très connues offrent plus souvent de la soupe au détriment de jolis textes. » Elle fait partie de ces gens qui n’ont pas « frissonner, à regret, pour un texte depuis bien longtemps. » Pourtant, au biais de ces rencontres qu’elle fait par ses ateliers, il est clair que les gens aimeraient avoir « à nouveau des Fugain, des Sardou, des Delpech, des chansons qui racontent des histoires, des vraies histoires. » Selon elle, les auteurs n’écrivent pas moins bien, mais les médias offrent, dit-elle, « des choses qui ne sont pas forcément de bonne qualité, en tous cas au niveau textuel. » Elle s’interpelle aussi sur la mémoire collective. A son grand regret, de nos jours, les parents ne prennent plus le temps de faire écouter à leurs enfants les chansons de leur enfance. La mémoire collective des grands auteurs des années 70 à 90 se perd. Elle se demande, à juste titre donc, ce qu’il restera comme titre dans 10 ans de la génération actuelle, si quelqu’un saura chanter une chanson par cœur de la chanson française actuelle. Elle le dit clairement d’ailleurs : « Je ne suis pas certaine que cette décennie nous reste comme une décennie extraordinaire comparée aux années 80 par exemple avec les Cabrel, les Bruel, les Goldman, plein de monde… où les chansons restaient dans la mémoire collective. Aujourd’hui la mémoire collective, c’est un peu du papier kleenex, où on lance une chanson pendant deux mois et puis ensuite plus rien. On passe à autre chose, on est dans une musique zapping et c’est un peu dommage. »
La réalité du métier ne l’empêche pas pour autant de continuer à écrire et de regarder avec émotions son parcours, parsemé d’embûches certes, mais aussi de très belles rencontres. C’est donc sincèrement qu’elle compare la première fois qu’on entend son texte chanté par un autre à un premier amour, comme un moment suspendu qu’on n’oubliera jamais. Tout autant, « il n’y a pas d’accoutumance d’entendre une chanson à la radio, par hasard, où on se dit « Voilà, c’est moi qui l’ai écrite ». On est spectateur de sa propre histoire quelque part. L’émotion est toujours intacte et quel que soit l’artiste, que ce soit un homme une femme, un interprète connu ou moins connu. Je ne pense pas qu’il y ait une accoutumance à ce bonheur-là. »
L’accoutumance au bonheur n’est sûrement pas non plus quand elle ouvre son livre « Encrée », publié en 2012 et qu’elle y lit la préface signée Serge Lama. C’est d’ailleurs très tendrement qu’elle nous parle de cet artiste qui est à ses yeux « le fils spirituel de Brel, qu’il faut avoir vu sur scène au moins une fois dans sa vie. » Serge Lama avait accepté, sans la connaître, si ce n’est par ses mots, et à la demande d’un ami commun, de préfacer le livre. Elle y parle tout simplement de l’absence de cet être cher qui nous a donné la vie. Elle y parle de ce qu’elle ressent depuis ce jour où sa maman discute avec les anges tout en continuant de veiller sur elle. Alors, si avoir une préface du grand Serge Lama est une cerise sur le gâteau, elle avoue que finalement le plus beau cadeau est le retour des gens, des lecteurs qui se sont reconnus en elle, en ses mots, en son témoignage sur les souvenirs de sa vie où sa mère était encore là, parce que « recevoir des messages disant « J’aurais aimé écrire ça, parce que moi aussi, ça me parle de ma mère (ou de quelqu’un d’autre), mais je n’avais pas les mots et vous les avez mis. », c’est un accomplissement, une utilité : « Offrir un miroir et avoir des gens qui en retour disent « Merci », on est là pour ça et ça fait beaucoup de bien. » »
Mais n’allez surtout pas lui dire qu’elle est auteure de livre, elle ne se revendique surtout pas comme telle… malgré le succès de son livre qui est épuisé et qu’on ne peut (pour l’instant ?) trouver nulle part. Elle se dit elle-même incapable d’écrire un roman de 250 pages où il faut savoir tenir en haleine le lecteur tout au long de ces nombreuses pages. Elle préfère condenser une histoire en trois ou quatre minutes. Elle compare cela au 100 et dix mille mètres même : « J’étais bien meilleur aux 100 mètres qu’au dix mille mètres à l’école, donc je continue avec le 100 mètres. » Et si on lui demande donc pourquoi avoir écrit « Encrée » qui fait office de petit livre, elle vous dira simplement parce qu’elle en avait besoin.
L’émotion est aussi là quand je lui demande avec qui elle aimerait ou aurait aimé travailler. Elle me cite Patrick Fiori dont elle adore la voix, puis un autre Patrick dont la Bruelmania en 1989 l’avait estomaquée et « fait demander comment un gars peut rassembler, peut envoyer autant d’émotion envers un public. » Elle avoue que travailler avec Johnny Hallyday, « le plus grand interprète français qu’on ait jamais eu », aurait été une collaboration rêvée. En fait, elle citera essentiellement des interprètes masculins, car elle les préfère aux voix féminines. D’ailleurs, une directrice artistique, à Montréal, avait dit : « Sandrine met dans la bouche des hommes ce que les femmes rêvent d’entendre ». Mais, si on l’oblige à réfléchir à quelles voix de femmes elle aimerait ou aurait aimé pour ses mots, elle citera Patricia Kaas dont la voix la touche beaucoup, ainsi que la regrettée Maurane pour les mêmes raisons. Puis, pour finir, elle parle de Céline Dion comme « l’inaccessible étoile qui peut être accessible si le destin le veut, si le travail le fait. On fait une carrière quand on travaille tous les jours et qu’on fait des centaines et des centaines de textes et qu’un jour ça marche, et puis évidemment le hasard qui fait les rencontres. »
Questionner un auteur sur ce qu’il est, sur son passé et ses attentes, sa manière de voir son métier, permet d’apprendre tout autant que de passer quelques heures avec lui à comprendre le mécanisme d’une chanson et de la rythmique. Alors, même si rien n’était un hasard dans tout cela, la rencontre fut très belle. Et, comme Sandrine Roy est une acharnée de travail, mélangeant douceur, franchise et compétences, il est fort à parier que ces rencontres musicales qu’elle aime tant faire, et que ses mots n’en sont qu’à leurs débuts.